Du moins ne les libérez pas sous la pression d’autres facteurs que strictement médicaux. Mais que voulez-vous, dans notre belle société contemporaine, les fous, on s’en fout !
Tant que le « givré » ne croque pas le cœur de votre voisin[1], qu’il n’agresse pas une gente dame flic[2] ou n’assassine pas un bon prêtre après avoir fichu le feu à une cathédrale[3]… On s’en fiche pas mal encore tant que le « timbré », « aux antécédents psychiatriques » disent la presse et les autorités, n’a pas mobilisé toute les argousins de Paris jusqu’à leur préfet lui-même par une prise d’otage ayant bloqué tout un quartier pendant des heures[4], ou encore qu’il (ou elle) n’a pas incendié votre immeuble sous vos pieds[5] (à propos, combien ça coûte, tout ça, sacrebleu ?).
Comme c’est facile de crier haro sur le baudet de la psychiatrie française, et donc d’en faire porter la responsabilité à ses soignants dont on n’a cessé de rogner, pendant des années, les moyens, lits, effectifs, salaires, formations… Qu’on n’a cessé de submerger de bureaucratie étouffante… Dont on n’a cessé de vouloir réduire leur discipline à une spécialité médicale purement biogénétique ignorant les dimensions psychiques. Quel technicien informatique, morbleu !, face à une panne de PC, se concentrerait sur les seuls dysfonctionnements de ses circuits imprimés sans chercher les bugs dans ses logiciels, si vous permettez cette métaphore sommaire à un mousquetaire égaré en ce siècle ?
Car c’est bien là que se situe le problème : la psychiatrie publique française, une des plus enviées au monde il y a encore 50 ans, a été, plus que toute autre branche de la médecine, victime des restrictions techno-bureaucratique en tous genres, on ne s’y étendra pas de nouveau ici[6], sauf pour ricaner quand on apprend qu’un des outils majeurs de ce désastre, les ARS (en l’occurrence celle d’Occitanie), va diligenter l’enquête pour déterminer les causes des « évasions » de Toulouse (voir note 1). Ne vous dérangez pas, Messieurs-dames, c’est tout vu : pas assez de personnel, pas assez de places, personnel (héroïque !) trop épuisé... Pas la peine de lui taper dessus, tapez plutôt sur vos propres doigts et sur ceux des responsables politiques qui causent du sujet occasionnellement (surtout en cas de drame), mais ne font pas grand-chose d’autre. Que voulez-vous, il n’y a pas d’argent dans les caisses, surtout pas pour des fous dont tout le monde se fout. Ils sont inutiles, dangereux, coûteux, ne vaudrait-il pas mieux les piquer ? C’est ce que pensaient (et on fait) les Nazis. Dites-vous bien, pourtant, qu’un Français sur 25 souffre d’un handicap psychique (heureusement très rarement dangereux) : le fou, il est peut-être déjà dans la maison ou l’appartement d’à côté. Et même, demain, ce sera peut-être vous ou votre gamin, crénom !
Pourtant, ce n’est pas si compliqué de voir ce qu’il faut faire pour « libérer » la psychiatrie. Suffit de revenir à ce qui faisait sa qualité et son efficience il n’y a pas si longtemps. Se souvenir que les maladies du cerveau ne se soignent pas vite fait bien fait et, faute de chirurgie[7], seulement à coups de potions et décoctions des apothicaires d’aujourd’hui. Je ne dis pas que ça se fera d’un simple claquement des doigts, mais ce n’est pas compliqué à concevoir. Il faut dispenser des psychothérapies, qui demandent du temps, du relationnel et de la confiance avec le patient, bref de l’humanité et de l’expérience. II faut donc des soignants spécifiquement formés, des lits, de l’harmonie car c’est dans des têtes déjà troublées que ça se passe. Il faut rétablir l’organisation des soins qui donnait des résultats incomparablement meilleurs qu’aujourd’hui, tout en tenant compte des avances de la médecine dans l’intervalle, et il y en a. Et ça n’enlève rien, non plus, à l’intérêt qu’il y a à poursuivre des recherches neuroscientifiques, génétiques et pharmacologiques. Mais en attendant, faisons ce qu’il faut pour éviter de larguer dans la rue, faute de place ou de personnel, des malades dont le parcours de soins, comme on dit maintenant, est tellement inachevé que voilà le résultat, palsambleu !
Et ne dîtes pas que ça coûterait trop cher : mettons plus de monde à soigner et à accompagner et moins derrière des bureaux à pondre des procédures lourdingues et déconnectées des réalités, mesurer des indices à la mords-moi-le-doigt et à emm… les praticiens avec des réunionites hors sol. Une bonne administration, c’est celle qui supporte et gère au mieux, pas celle qui veut gouverner[8].
Depuis la fondation de l’Hôpital Général par Louis XIV[9] jusqu’à la désinstitutionnalisation et la sectorisation de l’après-guerre, en passant par la création de la psychiatrie et des établissements dédiés (les asiles[10]), c’est 3 siècles de progrès parfois pénibles et erratiques, mais progrès tout de même tant médicaux qu’humains qu’on fiche en l’air. Ça suffit, Tonnerre de la Rochelle !
Capitaine Narcisse de Brissac
des Mousquetaires du Cœur
[1] « Le cannibale des Pyrénées » qui vient de défrayer la chronique en « s’évadant » de l’hôpital Marchant de Toulouse (19/01/2022) imité par un violeur (28/01/2022)
[3] Saint-Laurent-sur-Sèvre, 98/08/2021. Il s’agit de l’incendie de la cathédrale de Nantes en 2020.
[4] Rue d’Aligre, Paris 12, 20/12/2021
[7] On a abandonné la lobotomie, Dieu merci.
[8] Et c’est possible, comme on l’a vu pendant la première vague de la pandémie. On ferait bien en haut lieu de considérer la suppression des ARS créées en 2010 et le retour aux ARH, qui ont fait beaucoup pour l’amélioration des hôpitaux, et aux DDASS et DRASS, bien plus proches du terrain.
[9] Créé en 1656. Missionné pour ramasser toute la misère humaine traînant dans les rues de Paris, mendiants, coupe-jarrets, prostituées, insensés... Côté positif : il fournissait un toit et un brouet, et même un peu de soins médicaux et spirituels. Côté négatif : tenait plus de la prison que de l’hospice. Tout ça dans de magnifiques architectures qui existent toujours, comme à la Salpêtrière et à la Pitié (dont le nom est déjà tout un programme).
[10] Se souvenir de l’étymologie bienveillante de ce terme, bienveillance complètement détruite par les Nazis et le régime de Vichy pendant la dernière guerre mondiale. Les asiles, redénommés hôpitaux psychiatriques, ont eu pourtant leur grandeur et aussi leurs failles.
Capitaine Narcisse de Brissac des Mousquetaires du Cœur