Fin du grand silence ? Deux émissions, presque coup sur coup, sur France3 : d’abord le remarquable documentaire [1] du Pr Gérard Miller le 20 mars dernier (à 23h50 !) intitulé « la folie à l’abandon » puis le magazine le 10 avril (Pièces à conviction : « Psychiatrie, le grand naufrage » [2]) suivi d’un débat (« Comment sauver la psychiatrie ») en présence de Mme Buzyn, ministre en charge de la Santé. Si vous ne les avez pas vues, le « replay » s’impose !
Les titres parlent d’eux-mêmes, morbleu !
Un demi-siècle de décadence. Depuis que, sous l’effet du choc pétrolier de 1973, l’Etat s’est mis en devoir de tout régenter plutôt que gérer, y compris l’Hôpital comme si c’était une entreprise, que le Directeur a viré le Médecin-chef. Avec, vu que l’Etat est sous doué en matière de gestion financière, l’admirable résultat qu’on connait (1,5 milliard de déficit des hôpitaux publics en 2017 !). Un désastre pour la psychiatrie française, pourtant l’une des plus admirée au Monde jusque dans les années 1970. Le résultat est parfaitement illustré par les deux émissions citées : on a fermé par centaines de milliers les places dans les ex-asiles d’aliénés devenus des hôpitaux psychiatriques (maquant trop souvent, certes, d’humanité), sans créer en nombre adéquat les structures de prise en charge alternatives. L’Hôpital ne traite plus que les urgences à coup de chimiothérapie, et les malades sont réexpédiés[3] dans leur famille (tant que celle-ci survit), ou à leur solitude ou encore à la rue, d’où ils terminent trop souvent en prison à cause de quelque délit (très rarement crimes) commis sous l’effet de la dé-médication, de la désocialisation, de la perte du sens commun. Pour les cas les plus sévères, parler d’un « suivi ambulatoire » est complètement irréaliste.
Pourquoi s’intéresse-t-on enfin, j’allais dire tout-à-coup, en Haut Lieu et dans les médias, à la psychiatrie ? Cela fait pourtant des années que des voix qualifiées s’élèvent pour donner l’alerte : la journaliste Catherine Tobin, dans un petit livre paru en 1990 consacré à la seule schizophrénie[4] ; l’association Droit aux Soins et à une Place adaptée (DSP) auprès du ministre B. Kouchner en 2011[5] ; les Etats Généraux de la Psychiatrie, Montpellier juin 2003 ; le rapport du HCPLD présidé par X. Emmanuelli au Président de la République, novembre 2003 ; la Lettre au Président de la République sur les citoyens en situation de handicap de J. Kristéva, 2003 ; le livre du journaliste Patrick Coupechoux Un monde de fou en 2006[6] ; le rapport de la Cour des Comptes sur l’échec du plan santé mentale 2005-2008 du ministre Douste-Blazy, décembre 2011 ; les lettres ouvertes aux candidats à la Présidentielle et aux Législatives de 2017 par le Collectif 100.000 handicapés psychiatriques à l’abandon dont vous pouvez prendre connaissance, avec les (rares !) réponses, dans ce même blog ; et pour terminer, mais cette liste n’est pas exhaustive, le récent ouvrage (2018) des Prs M. Leboyer et P-M. Llorca, psychiatrie, l’état d’urgence[7].
Le drame de la rue Erlanger[8] a-t-il été le drame de trop ? La formation d’un gouvernement non issu des castes politiques traditionnelles permet-elle à son ministre en charge de la Santé un regard nouveau ? En tout cas, depuis sa prise de fonction, Mme Buzyn n’a cessé d’émettre des messages encourageants pour la reconstruction de la psychiatrie française. Certes, elle a été assaillie de mouvements de contestations et de réclamations. Lors de l’émission Pièces à conviction du 10 avril, elle n’a pas caché une certaine stupéfaction à la découverte de l’état de cette branche particulièrement mal aimée de la médecine, à commencer semble-t-il par les administratifs (bon nombre d’Agences Régionales de Santé (ARS).et de Directions d’établissements). Il faut lui rendre cette justice que l’héritage légué par ses prédécesseurs depuis Jack Ralite est lourd. Pire qu’un retour à l’Hôpital Général de l’Ancien Régime, palsambleu ! Et comme l’a souligné le Dr Daniel Zagury lors du débat qui a suivi l’émission[9], la durée du chantier de réhabilitation dépassera la fenêtre « du temps politique qui est imparti » à Mme Buzyn, mais celle-ci a la « responsabilité historique d’en poser la première pierre ».
Mme Buzyn a publié fin juin 2018 une « feuille de route » en 37 actions, une sorte de plan psychiatrie plein de bonnes idées, de bonnes intentions mais non totalement dénué de langue de bois techno-bureaucratique. Elle a aussi réinjecté quelques crédits et promis (elle l’a rappelé lors du débat) au Pr Pelissolo et à 120 de ses collègues du service public[10] de mettre fin aux véritables détournements exercé par les directeurs d’hôpitaux sur l’enveloppe budgétaire (la DAF) dévolue aux départements de psychiatrie, et d’ailleurs de revoir ce système de financement sclérosé et sclérosant.
Bref, on a le sentiment, derrière de Dr Zagury, que la ministre commence à passer à l’action. Pas question de cracher dans la soupe, MAIS !...
…les 150.000 handicapés psychiatriques à l’abandon qui sont le cœur de notre croisade font l’objet de l’action N° 37 (sur 37, position significative ?) de la feuille de route, et encore, s’agit-il de procéder à des analyse, de proposer des axes « pour mieux repérer et mieux accompagner »… des gens qui sont en état d’urgence humanitaire. Alors stop aux parlotes, AUX ACTES, CITOYENNE MINISTRE.
Il y a des solutions, elles sont connues
A votre disposition pour en parler, Tonnerre de la Rochelle !
Capitaine Narcisse de Brissac, des Mousquetaires du Coeur
[1] https://www.france.tv/documentaires/societe/927521-la-folie-a-l-abandon.html
[2] https://www.france.tv/france-3/pieces-a-conviction/944075-psychiatrie-histoire-d-une-depression-chronique.html
[3] Selon la HAS, l’hôpital n’est pas un lieu de vie. Il resterait environ 10.000 malades chroniques et long, parfois très long séjours dans les HP. Ce sont des « inadéquats » dont la chasse est ouverte : ils vont bientôt, après tant d’autres, grossir les rangs des SDF et des détenus.
[4] La schizophrénie au quotidien, sous la direction d’E. Zarifian, Odile Jacob, 1990. Avec une analyse inégalée à ce jour sur l’impact désastreux sur les familles.
[5] DSP aujourd’hui en sommeil a vigoureusement agité le drapeau de l’alerte entre 2001 et 2005. Le flambeau est repris aujourd’hui par le Collectif 100.000 handicapés psychiatriques à l’abandon.
[6] Seuil, réédition Point 2014.
[7] Fayard.
[8] Voir le communiqué afférent sur ce blog.
[9] https://www.france.tv/france-3/debat/944073-comment-sauver-la-psychiatrie.html
[10] Lettre à Mme Buzyn en date du 6/11/2018
Capitaine Narcisse de Brissac, des Mousquetaires du Coeur